Écrit par Dr. Kanza Benomar – © Editions becom
Le diabète est un problème majeur de santé publique. Le dernier rapport de l’OMS montre que le nombre d’adultes atteints de diabète dans le monde est passé de 108 millions en 1980 à 425 millions en 2017 [1]. Ainsi, l’OMS prévoit 622 millions de diabétiques d’ici 2040.
En France, la prévalence globale du diabète est de 8 % (9,5 % chez les hommes et 6,6 % chez les femmes) [1]. Le diabète de type 1 (DT1) affecte 5 à 10 % de l’ensemble des patients diabétiques, soit 180 000 patients selon l’étude Entred-2007. Au Maroc, la dernière étude StepWise estime la prévalence actuelle des patients diabétiques à 10,6 %.
Le DT1 est caractérisé par un déficit de la masse β-cellulaire responsable d’un défaut d’insulino-sécrétion endogène.
Le traitement de référence utilisé à large échelle dans cette pathologie est caractérisé par une supplémentation en insuline par des injections pluriquotidiennes sous cutanées ou par diffusion continue à l’aide d’une pompe, traitement indispensable mais contraignant pour les patients. Cependant, une restauration de cette insulino sécrétion endogène est possible pour des patients sélectionnés précédemment greffés ou non d’un rein, par réalisation d’une transplantation allogénique d’îlots pancréatiques intraportale. Les difficultés liées à la pénurie des greffons pancréatiques, aux techniques d’isolement et à la nécessité d’un traitement immunosuppresseur limitent cette thérapeutique aux patients présentant les formes de la maladie les plus instables ou compliquées. La Figure 1 montre les étapes historiques déterminantes qui ont permis la greffe clinique.

Figure 1 : Etapes historiques de l’allogreffe d’îlots de Langerhans
Des injections séquentielles d’îlots associées à une immuno suppression sans stéroïde
En 2000, l’équipe lilloise introduit le concept de transplantation séquentielle en réalisant 4 perfusions intraportales successives d’îlots chez un patient DT1 permettant d’atteindre une masse d’îlots transplantés supérieure à 10000 IEQ / kg de poids corporel du receveur à l’aide d’un cathéter laissé à demeure chez le patient [2] (IEQ ou îlot-équivalent correspond au nombre d’îlots dans une préparation ajustée en fonction de la taille de l’îlot et un IEQ est égal à un seul îlot de 150 μm de diamètre).
La même année, l’équipe canadienne publie les résultats préliminaires de ce qui deviendra le “Protocole d’Edmonton” [2]. Sept patients présentant un DT1 instable avec de nombreuses hypoglycémies sévères non ressenties, ont reçu 2 ou 3 injections séquentielles d’îlots par cathétérisme radiologique de la veine porte. Un schéma immunosuppresseur sans stéroïde (Daclizumab™, Sirolimus™ et Tacrolimus™) a été utilisé pour la première fois et a permis d’atteindre l’insulino-indépendance chez 100 % des patients contemporains d’un contrôle glycémique efficace et d’une amélioration de la qualité de vie avec disparition des épisodes d’hypoglycémie sévère.
La dissociation enzymatique est initiée par injection de la collagénase à froid directement dans le canal pancréatique principal et la distension de la glande pancréatique est un élément clé de cette étape.
Ensuite, le pancréas sectionné est introduit dans la chambre de Ricordi, laquelle est reliée à un circuit par une pompe alimentant la chambre avec le milieu contenant la collagénase (Figure 2b). Après l’isolement, les îlots sont purifiés du contenu exocrine par gradient de Ficoll™ de densité différente.

Figure 2 :Deux cathéters sont introduits dans le canal pancréatique principal au niveau de l’isthme pancréatique et permettent d’injecter l’enzyme collagénase pendant le processus d’isolement (a). — Chambre de Ricordi et circuit contenant l’enzyme collagénase (b). — Injection intraportale par voie radiologique transhépatique (c). — Injection intraportale par voie chirurgicale transmésentérique (d).
Procédure de l’allogreffe d’îlots : du donneur au receveur
Le prélèvement du pancréas ne modifie pas les étapes classiques du prélèvement multi-organes. La préservation de la capsule pancréatique et la bonne réfrigération in situ du pancréas constituent les principaux critères de succès du prélèvement. Le canal pancréatique principal est cathétérisé au niveau de l’isthme pancréatique, ce qui permettra plus tard, pendant le processus d’isolement des îlots d’injecter l’enzyme collagénase (Figure 2a).
Le temps d’ischémie froide est un facteur limitant la viabilité des îlots et l’isolement est réalisé dans les 8 à 12 h suivant le clampage.
L’essai international d’Edmonton [4] (NCT00014911) a inclus 36 patients entre 2001 et 2003, les préparations d’îlots humains ont répondu aux critères suivants :
- Compatibilité ABO ;
- Cross-match négatifs ;
- Masse par injection ≥ 5000 IEQ/kg représentant un volume maximal de 10 ml ;
- Masse totale de cellules transplantées ≥ 10000 IEQ/kg, en deux injections ou plus ;
- Pureté cellulaire ≥ 30 %
- Viabilité cellulaire ≥ 70 %
- Coloration de Gram négative et faible taux d’endotoxine (< 5 U/kg)
La préparation d’îlots est injectée sous anesthésie générale dans la veine-porte préalablement cathétérisée, par voie percutanée transhépatique (Figure 2c) ou par voie chirurgicale transmésentérique, après exposition de la dernière anse grêle par incision en fosse iliaque droite et cathétérisme d’une veine mésentérique terminale (Figure 2d). Les îlots sont injectés en 30 à 45 min dans une solution de Ringer™ contenant de l’héparine sous monitoring de la pression portale.
Sélection des patients : quel patient DT1 peut bénéficier d’une allogreffe d’îlots de Langerhans ?
La prise en charge des hypoglycémies chez le patient DT1 sous insuline doit être supervisée par un diabétologue afin de proposer d’abord des actions éducatives associées à l’optimisation de l’insulinothérapie par utilisation de pompes de diffusion continue sous
cutanée, l’évaluation de la labilité glycémique avec un monitoring continu (CGMS) ou DexCom, enfin par l’utilisation de systèmes composites associant les pompes “intelligentes” et le monitoring. Associé à ces dispositifs technologiques, l’évaluation de la labilité glycémique et de la perception des hypoglycémies peut être appréciée à l’aide d’outils simples tels que l’HYPOscore (fréquence et perception), l’index de labilité (LI) et le score de Clarke (perception d’hypoglycémie). Ainsi, l’allogreffe d’îlots seule (Islet Transplantation Alone, ITA) peut être proposée aux adultes DT1 présentant des accidents hypoglycémiques sévères et non ressentis (HYPOscore ≥ 800, score de Clarke ≥ 4, ou LI ≥ 400) après échec du traitement médical optimal et sous couvert d’une immunosuppression au long cours.
La transplantation d’îlots simultanément à la greffe de rein (Simultaneous Islet and Kidney Transplantation, SIK) ou la transplantation d’îlots après greffe de rein (Islet after Kidney Transplantation, IAK) est indiquée chez les patients DT1 déséquilibrés (HbA1c > 7 %) avec insuffisance rénale terminale pour laquelle une greffe de rein est indiquée mais contre-indiquée à la greffe de pancréas ou après échec de la greffe de pancréas.
Efficacité de l’allogreffe d’îlots de Langerhans comparée au traitement médical et à l’allogreffe de pancréas-organe
Insulinothérapie
Thompson et al. ont montré la supériorité de l’allogreffe d’îlots comparée à un traitement médical intensif par insulinothérapie sur l’amélioration de l’équilibre glycémique. Après un traitement médical intensif, l’HbA1c a diminué de 8,1 ± 1,2 % à 7,8 ± 0,3 % alors que les patients traités par allogreffe d’îlots seule (ITA) avaient amélioré leur HbA1c jusqu’à 6,7 ± 0,2 % (P < 0,001) [5]. Vantyghem a comparé prospectivement l’insulinothérapie intensive avec perfusion d’insuline intrapéritonéale à l’allogreffe d’îlots. Ainsi l’HbA1c, le besoin quotidien en insuline et le nombre d’hypoglycémies par semaine étaient significativement plus faibles dans le groupe allogreffe [6].
Transplantation du pancréas
Depuis 1967 et la première greffe de pancréas, une augmentation du nombre d’allogreffes pancréatiques a été observée surtout dans les cas d’une double transplantation rein-pancréas. Des études récentes ont montré une amélioration des résultats de succès de greffe et des complications microangiopathiques. En revanche, les complications chirurgicales et la morbi
mortalité demeurent le plus grand frein à ce type de transplantation.
Lhemann en 2015 [7], a rapporté dans un essai prospectif les résultats de la transplantation de pancréas organe (simultanée après transplantation rénale) aux résultats de la transplantation d’îlots pancréatiques (simultanée après transplantation rénale). La transplantation de pancréas organe est une chirurgie majeure avec une morbidité plus élevée que l’allogreffe d’îlots. Chez ces patients 41,5 % des patients (39/94) ont subi une relaparotomie contre 10,5 % dans le groupe îlots. Bien que la greffe de pancréas produit d’excellents résultats métaboliques, l’allogreffe d’îlots semble être un outil thérapeutique plus raisonnable chez les patients plus fragiles.
Le tableau I résume les différences entre la greffe pancréatique et la greffe d’îlots de Langerhans.
![Tableau I : Anomalies métaboliques associées au traitement par antipsychotiques atypiques [3] - Dr. Kanza Benomar](https://docteurkanzabenomar.com/wp-content/uploads/2021/04/Capture-décran-2021-04-04-à-11.25.58.png)
Tableau I :Anomalies métaboliques associées au traitement par antipsychotiques atypiques [3]
Efficacité de l’allogreffe sur les complications chroniques du DT1
Néphropathie
Thompson et al. ont montré une altération plus rapide de la fonction rénale des patients traités par insulinothérapie intensive par rapport aux patients avec greffe d’îlots à 3 ans de suivi (P < 0,0001) [5]. La greffe d’îlots, simultanément ou après greffe rénale, pourrait avoir un effet protecteur sur le greffon rénal par l’équilibre métabolique qu’il entraine. Ainsi Lindahl et al. ont montré une augmentation significative des lésions rénales (biopsies des greffons rénaux) associée à une altération plus importante de la fonction rénale contemporaine d’un contrôle métabolique non optimal dans le groupe greffe de rein seul par rapport au groupe greffe de rein et îlots [8].
Rétinopathie
Thompson et al. ont montré une différence significative dans l’étude de la rétinopathie diabétique avec une absence de progression dans le groupe allogreffe d’îlots, en revanche, la rétinopathie avait progressé dans le groupe insulinothérapie intensive même si un taux plus élevé de rétinopathie existait dans ce groupe au départ [5].
Neuropathie
Vantyghem, dans une cohorte prospective de 21 patients DT1 ayant bénéficié d’une allogreffe d’îlots selon le protocole d’Edmonton suivis pendant 5 ans, a montré une amélioration électrophysiologie de la neuropathie sensitive [9].
Les complications de la macro-angiopathie diabétique
Danielson et al., dans une cohorte de 15 DT1 ayant bénéficié d’une allogreffe d’îlots a suivi l’évolution de l’épaisseur de l’intima-média (EIM) carotidienne qui est une mesure échographique corrélée au risque cardiovasculaire. Ainsi, ils montraient une diminution significative de l’EIM à 12 et 50 mois de suivi en démontrant la relation entre la pente de cette diminution et celle de HbA1c, des lipoprotéines et des marqueurs cardiovasculaires et inflammatoires [10].
Traitements immunosuppresseurs et allogreffe d’îlots
Dans le protocole initial d’Edmonton, le traitement immunosuppresseur ne contenant pas de corticoïdes sera débuté lors de la greffe initiale chez tous les patients sous forme d’une induction par un anticorps anti-récepteur de l’interleukine 2, le Daclizumab™, associé à de faibles doses de Tacrolimus™ et au Sirolimus™. D’autres protocoles d’immunosuppression ont été décrits dans la littérature, notamment avec l’utilisation de l’Etanercept™ et l’Anakinra™.
Plus récemment, le protocole d’immunosuppression d’Edmonton associé à l’Etanercept™, et l’Exenatide™ (analogue du GLP-1) sur une petite série de patients après infusion d’îlots a montré une amélioration de la fonction et de la survie du greffon attribuée à l’effet de l’Exenatide™ sur la prolifération et le maintien de la cellule β pancréatique.
Résultats à long terme de l’allogreffe d’îlots pancréatiques [11]
Les dernières données du Collaborative Islet Transplant Registry (CITR) mise à jour en Décembre 2015 regroupent le registre de 1011 patients allogreffés depuis 1999 (819 ITA et 192 IAK/SIK) et rapportent une survie globale du greffon (peptide C ≥ 0,3 ng/ml après la dernière infusion) à 1 an de 80 % et proche de 40 % à 5 ans. L’insulino
indépendance globale à 1 an est proche 50 % et de 20-30 % à 5 ans suivant le type de receveur.
Ainsi dans ce dernier rapport, les facteurs associés à une meilleure survie du greffon et une insulino-indépendance durable étaient :
– Chez les patients ITA
- Induction d’une immunosuppression par un anti TNF-α et/ou toute immunosuppression induisant une déplétion des lymphocytes T
- Un maintien de l’immunosuppression par utilisation d’un inhibiteur de mTOR associé à un inhibiteur de la calcineurine
- Une masse totale de cellules greffées ≥ 325000 IEQ Age du receveur ≥ 35 ans.
– Chez les patients IAK
- Une masse totale de cellules greffées ≥ 325000 IEQ ;
- La prise en charge des patients donneurs de pancréas par insulinothérapie.
Complications de l’allogreffe
Les complications de la transplantation d’îlots sont plus rares et moins sévères que la transplantation pancréatique. Cependant, selon le registre international, 46% des patients présentent un effet secondaire durant la première année post-greffe en rapport avec l’injection intraportale ou avec l’immunosuppression. Les principaux risques liés à l’injection sont la thrombose portale (2 %), l’hémorragie (10 %) ou l’élévation transitoire des transaminases hépatiques.
Ainsi Caiazzo et al. ont montré que les événements indésirables précoces liés à la chirurgie ont une incidence sur la fonction primaire du greffon et sur la survie à long terme de l’allogreffe d’îlots [12] .
En ce qui concerne les effets indésirables de l’immunosuppression, ils sont communs à toutes les greffes : œdème, aphtose buccale, aplasie, infections opportunistes. Le taux de mortalité est faible, inférieur à 2 %.
Concernant la fonction rénale, d’anciennes études ont montré une altération du débit de filtration glomérulaire chez les patients greffés îlots seuls [13], mais ces résultats ne sont pas confirmés par une étude prospective comparant les patients greffés d’îlots et les patients DT1 sous insulinothérapie ne mettant pas en évidence de différence significative au niveau de l’altération de la fonction rénale [14].
D’autres effets liés à la greffe peuvent être observés comme l’hyperimmunisation, mais ce phénomène ne semble être spécifique à l’allogreffe d’îlots de Langerhans. Cependant, le développement des anticorps anti-HLA en post-greffe est associé à un moindre succès de la greffe d’îlots [15].
Conclusion
L’allogreffe d’îlots de Langerhans permet un équilibre glycémique durable chez des patients DT1 présentant des hypoglycémies sévères non ressenties ou après greffe de rein. Elle permet ainsi la restauration d’une sécrétion endogène d’insuline, une amélioration de l’équilibre glycémique, une insulino-indépendance durable apportant un bénéfice sur l’évolution de la micro et de la macroangiopathie diabétique et l’amélioration de la qualité de vie des patients diabétiques.
Références
- Organisation mondiale de la Santé. Rapport mondial sur le Diabète, Genève. 2016.
- Pattou F et al. Sequential intraportal islet allografts in immunosuppressed type I diabetic patients: preliminary results. Transplant Proc. 2000;32(2):391-2.
- Shapiro AM et al. Islet transplantation in seven patients with type 1 diabetes mellitus using a glucocorticoid-free immunosuppressive regimen. N Engl J Med. 2000;343(4):230-8.
- Shapiro AMJ et al. International Trial of the Edmonton Protocol for Islet Transplantation. N Engl J Med. 2006;355(13):1318-30. 5. Thompson DM et al. Reduced Progression of Diabetic Microvascular Complications With Islet Cell Transplantation Compared With Intensive Medical Therapy: Transplantation. 2011;91(3):373-8.
- Vantyghem MC et al. Intraperitoneal insulin infusion versus islet transplantation: comparative study in patients with type 1 diabetes. Transplantation. 2009;87(1):66-71.
7. Lehmann R et al. Glycemic Control in Simultaneous Islet-Kidney Versus Pancreas-Kidney Transplantation in Type 1 Diabetes: A Prospective 13-Year Follow-up. Diabetes Care. 2015;38(5):752-9. 8. Lindahl JP et al. In patients with type 1 diabetes simultaneous pancreas and kidney transplantation preserves long-term kidney graft ultrastructure and function better than transplantation of kidney alone. Diabetologia. 2014;57(11):2357-65.
- Vantyghem MC et al. Improvement of Electrophysiological Neuropathy After Islet Transplantation for Type 1 Diabetes: A 5-Year Prospective Study. Diabetes Care. 2014;37(6):e141-2. 10. Danielson KK et al. Reduction in Carotid Intima-Media Thickness After Pancreatic Islet Transplantation in Patients With Type 1 Diabetes. Diabetes Care. 2013;36(2):450-6.
- Scientific Summary of the Collaborative Islet Transplant Registry (CITR), 9th Annual Report [Internet]. 2015. Disponible sur: http:// www.citregistry.org/
- Caiazzo R et al. Impact of Procedure-Related Complications on Long-term Islet Transplantation Outcome: Transplantation. 2015;99(5):979-84.
- Senior PA et al. Changes in Renal Function after Clinical Islet Transplantation: Four-Year Observational Study. Am J Transplant. 2007;7(1):91-8.
- Warnock GL et al. A multi-year analysis of islet transplantation compared with intensive medical therapy on progression of complications in type 1 diabetes. Transplantation. 2008;86(12):1762-6.
15. Campbell PM et al. Pretransplant HLA Antibodies Are Associated with Reduced Graft Survival After Clinical Islet Transplantation. Am J Transplant. 2007;7(5):1242-8.
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Écrit par Dr. Kanza Benomar – ©Publication : Becom Editions